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Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/136

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les vers qu’elle avait trouvés dans la nuit. À la venue de son amie, elle leva sa petite tête laide, éclairée et brûlée par des yeux splendides.

— Darling, je vous présente le prince Albertinelli.

Le prince étalait contre le poêle sa beauté de jeune dieu, que fortifiait une barbe drue et noire. Il salua.

— Madame ferait aimer la France, si ce sentiment n’était pas déjà dans nos cœurs.

— La comtesse et Choulette prièrent miss Bell de leur lire les vers qu’elle écrivait. Elle s’excusa, étrangère, de faire entendre ses incertaines cadences au poète français qu’elle goûtait le mieux après François Villon ; puis, de sa jolie voix sifflante d’oiseau, elle récita :


Lors au pied des rochers où la source penchante,
Pareille à la Naïade et qui rit et qui chante,
Agite ses bras frais et vole vers l’Arno,
Deux beaux enfants avaient échangé leur anneau,
Et le bonheur d’aimer coulait dans leurs poitrines
Comme l’eau du torrent au versant des collines.
Elle avait nom Gemma. Mais l’amant de Gemma,
Nul entre les conteurs jamais ne le nomma.

Le jour, ces innocents, la bouche sur la bouche,
Mêlaient leurs jeunes corps dans la sauvage couche
De thym que visitait la chèvre. Et vers le soir,
À l’heure où l’artisan fatigué va s’asseoir