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Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/169

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religions, et qu’il lui avait parlé de Ravenne et de cette impératrice assise sur une chaise d’or dans son tombeau. Elle l’avait trouvé grave et charmant, la voix chaude, l’œil doux, dans l’ombre de la nuit, mais trop étranger, trop lointain, trop inconnu. Elle en éprouvait comme un malaise, et ne savait plus, à ce moment, le long des buis qui bordent la terrasse, si elle avait envie de le voir tous les jours ou de ne le revoir jamais.

Depuis qu’elle l’avait retrouvé à Florence, elle se plaisait uniquement à le sentir près d’elle, à l’entendre. Il lui rendait la vie aimable, diverse et colorée, neuve, toute neuve. Il lui révélait les joies délicates et les tristesses délicieuses de la pensée, il éveillait les voluptés qu’elle portait dormantes en elle. Maintenant elle était bien décidée à le garder. Mais comment ? Elle prévoyait les difficultés ; son esprit lucide et son tempérament les lui présentaient toutes. Un moment elle essaya de se tromper elle-même : elle se dit que peut-être, rêveur, exalté, distrait, perdu dans ses études d’art, il n’avait pas le goût violent des femmes, et qu’il resterait assidu sans se montrer exigeant. Mais aussitôt, secouant sur l’oreiller sa belle tête qui trempait dans les sombres ruisseaux de sa chevelure, elle ne voulut pas se rassurer sur cette idée. Si Dechartre n’était pas un amoureux, il perdait pour elle tout son charme.