Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— On ne choisit pas, Vivian, on ne choisit pas. Ne me faites pas dire ce que je pense du mariage.

À ce moment, Choulette parut, l’air magnifique d’un de ces mendiants dont s’honorent les portes des petites villes. Il venait de jouer à la briscola avec des paysans, dans un cabaret de Fiesole.

— Voici M. Choulette, dit miss Bell. C’est lui qui nous enseignera ce que nous devons penser du mariage. Je suis encline à l’écouter comme un oracle. Il ne voit pas ce que nous voyons, et il voit ce que nous ne voyons pas. Monsieur Choulette, que pensez-vous du mariage ?

Il s’assit et leva en l’air un doigt socratique :

— Parlez-vous, mademoiselle, de l’union solennelle de l’homme et de la femme ? En ce sens, le mariage est un sacrement. D’où il suit que c’est presque toujours un sacrilège. Quant au mariage civil, c’est une formalité. L’importance qu’on y donne dans notre société est une niaiserie qui eût bien fait rire les femmes de l’ancien régime. Nous devons ce préjugé, comme tant d’autres, à cette effervescence des bourgeois, à cette poussée des fiscaux et des robins, qu’on a appelée la Révolution et qui semble admirable aux gens qui en vivent. C’est la mère Gigogne