Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Vous montrez, madame, la fierté des belles et intelligentes Françaises, que le joug irrite. Les Françaises aiment la liberté, et nulle d’elles n’en est plus digne que vous. Moi-même, j’ai un peu vécu en France. J’ai connu et admiré l’élégante société de Paris, les salons, les fêtes, les conversations, le jeu. Mais dans nos montagnes, sous nos oliviers, nous redevenons des rustiques. Nous reprenons des mœurs champêtres, et le mariage est pour nous une idylle pleine de fraîcheur.

Vivian Bell examina la maquette que Dechartre avait laissée sur la table.

— Oh ! c’est bien ainsi qu’était Béatrice, j’en suis sûre. Et savez-vous, monsieur Dechartre, qu’il y a de méchants hommes qui disent que Béatrice n’a pas existé ?

Choulette déclara qu’il était du nombre de ces méchants. Il ne croyait pas que Béatrice eût plus de réalité que ces autres dames par lesquelles les vieux poètes d’amour représentaient quelque idée scolastique d’une ridicule subtilité.

Impatient des louanges égarées qu’il ne recevait pas, jaloux de Dante, comme de tout l’univers, très fin lettré d’ailleurs, il crut trouver le défaut de l’armure et frappa :

— Je soupçonne, dit-il, que la jeune sœur des anges n’a jamais vécu que dans l’imagination