Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/205

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— Je ne veux pas de votre amitié. Je n’en veux pas. Il faut que je vous aie tout entière, ou que je ne vous voie plus jamais. Vous le savez bien. Pourquoi me tendez-vous la main avec des paroles dérisoires ? Que vous l’ayez voulu ou non, vous m’avez donné de vous une envie désespérée, un goût mortel. Vous êtes devenue mon mal, ma souffrance, ma torture. Et vous me demandez d’être un agréable ami. C’est maintenant que vous êtes coquette et cruelle. Si vous ne pouvez pas m’aimer, laissez-moi partir ; j’irai je ne sais où, vous oublier, vous haïr. Car je me sens pour vous un fond de haine et de colère. Oh ! je vous aime, je vous aime !

Elle crut ce qu’il disait, craignit qu’il ne s’en allât, et eut peur de la tristesse et de l’ennui de vivre sans lui. Elle dit :

— Je vous ai trouvé dans la vie. Je ne veux pas vous perdre. Je ne le veux pas.

Timide et violent, il balbutiait ; les paroles s’étouffaient dans sa gorge. Le crépuscule descendait des montagnes lointaines, et les derniers reflets du soleil pâlissaient à l’orient sur la colline de San Miniato. Elle dit encore :

— Si vous connaissiez ma vie, si vous aviez vu combien elle était vide avant vous, vous sauriez ce que vous êtes pour moi, et vous ne penseriez plus à m’abandonner.