Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/204

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n’avait plus le courage de souffrir et de se taire. Il criait vers elle. Il n’était pas venu avec un dessein arrêté. S’il avait dit sa passion, c’était par force et malgré lui, dans un inexorable besoin de parler d’elle à elle-même, puisqu’elle était pour lui le seul être qui existât au monde. Sa vie n’était plus en lui, elle était en elle. Qu’elle le sût donc, qu’il l’aimait, et que ce n’était pas avec de molles et vagues tendresses, mais dans une ardeur sèche et cruelle. Hélas ! Il avait l’imagination exacte et précise. Il savait, il voyait sans cesse ce qu’il voulait, et c’était une torture.

Et puis il lui semblait que, mêlés l’un à l’autre, ils auraient les joies qui valent que la vie soit vécue. Leur existence serait une œuvre d’art belle et cachée. Ils penseraient, comprendraient, sentiraient ensemble. Ce serait un monde merveilleux d’émotions et d’idées.

— Nous ferions de la vie un jardin délicieux.

Elle feignit de prendre le change sur l’innocence de ce rêve.

— Vous savez bien que je suis sensible au charme de votre esprit. Je me suis fait un besoin de vous voir et de vous entendre. Je ne vous l’ai que trop laissé voir. Comptez sur mon amitié, et ne vous tourmentez plus.

Elle lui tendit la main. Il ne la prit pas et répondit brusquement :