Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/207

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nières bondissaient sur le quai désert. Jacques et Thérèse se rangèrent contre la muraille pour laisser passer cette trombe funèbre, les prêtres, les enfants de chœur, les hommes sans visage et, galopant avec eux, la Mort importune, qu’on ne salue pas sur cette terre voluptueuse.

L’avalanche noire avait passé. Les femmes pleuraient en courant après ce cercueil emporté par des fantômes chaussés de gros souliers ferrés.

Thérèse soupira :

— Que nous aura servi de nous tourmenter sur cette terre ?

Il ne sembla pas l’entendre et reprit d’une voix apaisée :

— Avant de vous connaître, je n’étais pas malheureux. J’aimais la vie. J’y étais retenu par des curiosités, des rêves. Je goûtais les formes et l’esprit des formes, les apparences qui caressent et qui flattent. J’avais la joie de voir et de rêver. Je jouissais de tout et ne dépendais de rien. Mes désirs, abondants et légers, m’emportaient sans fatigue. Je m’intéressais à tout et je ne voulais rien : on ne souffre que par la volonté. Je le sais aujourd’hui. Je n’avais point une volonté sombre. Sans le savoir, j’étais heureux. Oh ! c’était peu de chose, c’était seulement ce qu’il faut pour vivre. Maintenant je ne l’ai plus. Mes plaisirs, l’intérêt que je prenais aux images de la vie