Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/23

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j’aspirais l’avenir comme un air plein de sel et d’arômes. Pourquoi ? Qu’est-ce que je voulais, et qu’est-ce que j’attendais ? N’étais-je pas assez avertie de la tristesse de tout ?

Elle était née riche, dans l’éclat criard d’une fortune trop neuve. Fille de ce Montessuy, qui, d’abord petit employé dans une banque parisienne, fonda, gouverna deux grands établissements de crédit, trouva pour les soutenir aux heures difficiles les ressources d’un esprit fécond, la force invincible du caractère, un alliage unique de ruse et de probité, et traita de puissance à puissance avec le gouvernement, elle avait grandi dans ce château historique de Joinville acheté, restauré, meublé magnifiquement par son père et devenu en six ans, avec son parc et ses grandes eaux, l’égal en splendeur de Vaux-Le-Vicomte. Montessuy faisait rendre à la vie tout ce qu’elle peut donner. Athée instinctif et puissant, il voulait tous les biens de chair et toutes les choses désirables que produit cette terre. Il entassa dans la galerie et dans les salons de Joinville les tableaux de maîtres et les marbres précieux. À cinquante ans, il eut les plus belles femmes de théâtre et quelques femmes du monde dont il releva le luxe. Il jouissait de tout ce qu’il y a de précieux dans la société avec la brutalité de son tempérament et la finesse de son esprit.