Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

 

Cependant, la pauvre madame Montessuy, économe et soigneuse, languissait à Joinville, l’air chétif et pauvre, au regard des douze cariatides géantes qui, dans sa ruelle fermée par des balustres d’or, soutenaient le plafond où Lebrun avait peint les Titans foudroyés par Jupiter. C’est là, dans le lit de fer, dressé au pied du grand lit de parade, qu’elle mourut un soir, de tristesse et d’épuisement, n’ayant jamais aimé sur la terre que son mari et son petit salon de damas rouge de la rue de Maubeuge.

Elle n’avait point eu d’intimité avec sa fille, la sentant, d’instinct, trop loin d’elle, trop libre d’esprit, trop hardie de cœur, et devinant, en cette Thérèse, pourtant douce et bonne, le sang fort de Montessuy, cette ardeur d’âme et de chair qui l’avait tant fait souffrir, et qu’elle pardonnait à son mari mieux qu’à sa fille.

Mais lui, Montessuy, reconnaissait sa fille et l’aimait. Comme tous les grands carnassiers, il avait ses heures de gaîté charmante. Bien qu’il vécût beaucoup dehors, il s’arrangeait pour déjeuner presque tous les jours avec elle, et quelquefois il la menait promener. Il avait l’entente des bibelots et des chiffons. Du premier coup il voyait, réparait dans les toilettes de la jeune fille les désastres causés par le goût triste et voyant de madame Montessuy. Il instruisait,