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formait sa Thérèse. Brutal et savoureux, il l’amusait et l’attachait. Près d’elle son instinct, son appétit de conquêtes l’inspirait encore. Lui qui voulait toujours gagner, il gagnait aussi sa fille. Il l’enlevait à sa mère. Elle l’admirait, l’adorait.

Dans sa songerie, elle le revoyait au fond du passé, comme la joie unique de son enfance. Elle était encore persuadée qu’il n’y avait pas au monde un homme aussi aimable que son père.

À son entrée dans la vie, elle avait désespéré tout de suite de retrouver ailleurs une telle richesse naturelle, une telle plénitude de forces actives et pensantes. Ce découragement l’avait suivie dans le choix d’un mari, et, peut-être ensuite, dans un choix secret et plus libre.

Son mari, vraiment elle ne l’avait pas choisi du tout. Elle ne savait pas : elle s’était laissé marier par son père qui, veuf alors, embarrassé et inquiet du soin délicat d’une fille, au milieu d’une vie affairée et emportée, avait voulu, à son ordinaire, faire vite et bien. Il considéra les avantages extérieurs, les convenances, apprécia les quatre-vingts ans sonnés de noblesse impériale qu’apportait le comte Martin, avec la gloire héréditaire d’une famille qui avait donné des ministres au gouvernement de Juillet et à l’Empire libéral. L’idée ne lui était pas venue qu’elle pût trouver l’amour dans le mariage.