Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/280

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Elle, agenouillée, du creux souple de ses mains, lui enveloppait les tempes et les joues. Elle lui dit encore qu’il était insensé de s’inquiéter d’une vulgaire et banale rencontre. Elle le força de croire, ou plutôt d’oublier. Il ne vit, ne sut, ne connut plus rien que ces mains légères, ces lèvres ardentes, ces dents avides, cette gorge pleine et toute cette chair offerte. Il n’eut plus d’autre idée que de s’anéantir en elle. Son amertume et sa colère évanouies ne lui laissaient plus que l’âcre désir de tout oublier, de lui faire tout oublier, et de tomber avec elle dans un évanouissement voluptueux. Elle-même, aiguillonnée d’inquiétude et de désir, éprouvant l’infinie passion qu’elle inspirait, sentant à la fois sa toute-puissance et sa faiblesse, rendit amour pour amour avec une fureur inconnue d’elle. Et, dans une rage instinctive, dans une sourde volonté de se donner mieux et plus que jamais, elle osa ce qu’elle n’eût pas cru possible d’oser. Une ombre chaude enveloppait la chambre. Des rayons d’or, dardés au bord des rideaux, éclairaient le panier de fraises posé sur la table près d’un flacon de vin d’Asti. Au chevet du lit, l’ombre claire de la dame vénitienne souriait de ses lèvres décolorées. Les masques de Bergame et de Vérone traînaient leur joie silencieuse au long des paravents. Dans un verre, une rose trop lourde tom-