Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/307

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voulaient prendre sa place et qui n’avaient pas même, comme lui, au fond de l’âme, l’amour du peuple. Nous les avons vus depuis, au pouvoir. Ciel ! qu’ils sont vilains ! Le sénateur Loyer, par exemple, qui chez vous, au fumoir, fourrait des cigares dans sa poche, et m’invitait à faire de même. « Pour la route », disait-il. Ce Loyer, c’est un méchant homme, dur aux malheureux, aux faibles, aux humbles. Et Garain, est-ce que vous ne lui trouvez pas une âme dégoûtante ? Vous vous rappelez : la première fois que j’ai dîné chez vous, on a parlé de Napoléon. Vos cheveux, noués au-dessus de la nuque et traversés d’une flèche de diamant, se tordaient avec une violence adorable. Paul Vence a dit des choses subtiles. Garain ne comprenait pas. Vous m’avez demandé mon avis.

— C’était pour vous faire briller. J’avais déjà l’orgueil de vous.

— Oh ! Je n’aurais jamais pu trouver une seule phrase devant des gens si sérieux. Pourtant, j’avais envie de dire que Napoléon III me plaisait mieux que le premier, que je le trouvais plus touchant ; mais peut-être que cette idée-là aurait produit un mauvais effet. D’ailleurs, je ne suis pas assez dépourvu de tout talent pour m’occuper de politique.

Il tournait dans la chambre, regardait les