Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/306

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égayent un peu son froid visage. Ce bronze est un cadeau de Napoléon III. Mes parents allaient à Compiègne. Mon père, pendant le séjour de la cour à Fontainebleau, prit le plan du château et dessina la galerie. Le matin, l’Empereur venait en redingote, avec une pipe d’écume, se poser près de lui comme un pingouin sur un rocher. En ce temps-là, j’étais externe à Bonaparte. J’écoutais ces histoires à table, et elles me sont restées. L’Empereur se tenait là tranquille et doux, interrompant son long silence par quelques paroles étouffées sous ses grosses moustaches ; puis il s’animait un peu, expliquait ses idées de machines. Il était inventeur et mécanicien. Il tirait un crayon de sa poche et faisait des figures démonstratives sur les dessins de mon père désolé. Il lui gâtait ainsi deux ou trois études par semaine… Il aimait beaucoup mon père et lui promettait des travaux et des honneurs qui ne venaient jamais. L’Empereur était bon, mais il n’avait pas d’influence, comme disait maman. En ce temps-là, j’étais gamin. Il m’est resté depuis lors une vague sympathie pour cet homme qui manquait de génie, mais dont l’âme était affectueuse et belle, qui portait dans les grandes aventures de la vie un courage simple et un doux fatalisme… Et puis, ce qui me le rend sympathique, c’est qu’il fut combattu et injurié par des gens qui