Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/315

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Elle s’écria, joyeuse :

— On ne peut pas me quitter, dis ?

Elle lui demanda pourquoi il ne faisait pas son buste, puisqu’il la trouvait jolie.

— Pourquoi ! Parce que je suis un sculpteur médiocre. Et je le sais ; ce qui n’est pas d’un esprit médiocre. Mais, si tu veux à toute force me croire un grand artiste, je te donnerai d’autres raisons. Pour créer une figure qui vive, il faut prendre le modèle comme une matière vile, dont on extrait la beauté, qu’on presse, qu’on broie, pour en tirer l’essence. Toi, il n’y a rien dans ta forme, dans ta chair, dans tout toi, qui ne me soit précieux. Si je faisais ton buste, je m’attacherais servilement à ces riens, qui sont tout pour moi, parce qu’ils sont un rien de toi. Je m’y entêterais stupidement, et je ne parviendrais pas à composer un ensemble.

Elle le regardait, un peu surprise.

Il reprit :

— De mémoire, je ne dis pas. J’ai essayé un petit crayon, que je porte toujours sur moi.

Comme elle voulait absolument le voir, il le lui montra. C’était, sur un feuillet d’album, une esquisse très simple et très hardie. Elle ne s’y reconnut point, s’y trouva des duretés, une âme qu’elle ne se savait pas.