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Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/319

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lisait avidement, goûtait en hâte sa joie furtive. Elle devait faire, à deux heures, une promenade en mail, avec son père, son mari, la princesse Seniavine, madame Berthier D’Eyzelles, la femme du député, et madame Raymond, la femme de l’académicien. Elle avait deux lettres ce jour-là. La première qu’elle lut exhalait une odeur fine et gaie d’amour. Jacques ne s’était jamais montré plus riant, plus simple, plus heureux, plus charmant.

Depuis qu’il l’aimait, disait-il, il allait si léger et soulevé d’une telle allégresse que ses pieds ne touchaient plus la terre. Il n’avait qu’une peur, c’était qu’il ne rêvât, et qu’il ne vînt à s’éveiller inconnu d’elle. Sans doute, il faisait un songe. Et quel songe ! le pavillon de la Via Alfieri, le cabaret de Meudon, les baisers et ces épaules divines, et toute cette peau où riaient des fossettes, ce corps souple, frais et parfumé comme un ruisseau coulant dans les fleurs. S’il n’était pas le dormeur éveillé, il était l’homme ivre qui chante. Il n’avait plus sa raison, par bonheur. Absente, il la voyait sans cesse. « Oui, je te vois près de moi, je vois tes cils sur tes prunelles d’un gris plus délicieux que tout le bleu du ciel et des fleurs, tes lèvres qui ont la chair et le goût d’un fruit merveilleux, tes joues où le rire met deux creux adorés, je te vois belle et désirée,