Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/35

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Elle fut contrariée qu’il parlât comme le général Larivière. Elle ne lui avoua pas qu’elle n’avait plus vu Choulette depuis l’automne et qu’il la négligeait avec le sans-gêne d’un homme occupé, capricieux, qui n’était pas du monde.

— Il a de l’esprit, dit-elle, de la fantaisie et une nature originale. Il me plaît.

Et, comme il lui reprochait d’avoir un goût bizarre, elle répondit vivement :

— Je n’ai pas un goût, j’ai des goûts. Vous ne les blâmez pas tous, je pense.

Il ne la blâmait pas. Il craignait seulement qu’elle ne se fît du tort en recevant un bohème de cinquante ans, qui n’avait pas sa place dans une maison respectable.

Elle se récria :

— Pas sa place dans une maison respectable, Choulette ? Vous ne savez donc pas qu’il va, tous les ans, passer un mois en Vendée chez la marquise de Rieu… oui, chez la marquise de Rieu, la catholique, la royaliste, la vieille chouane, comme elle se nomme elle-même. Mais, puisque Choulette vous intéresse, écoutez sa dernière aventure. La voici telle que Paul Vence me l’a contée. Je la comprends mieux dans cette rue où il y a des camisoles et des pots de fleurs aux fenêtres.

» Cet hiver, un soir qu’il pleuvait, Choulette rencontra chez un liquoriste, dans une rue dont