Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/361

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— Ce que j’ai souffert sur ce bateau, j’aurais honte de vous le dire.

Elle sentit qu’il disait vrai et détourna la tête.

— Oh ! je vous pardonne. J’ai beaucoup réfléchi, seul. J’ai passé des jours et des nuits étendu sur le divan du deck-house ; et je retournais sans cesse les mêmes idées dans ma tête. J’ai réfléchi pendant ces six mois plus que je n’avais fait dans toute ma vie. Ne riez pas. La douleur, il n’y a rien de tel pour élargir l’esprit. J’ai compris que, si je vous avais perdue, c’était de ma faute. Il fallait savoir vous garder. Et, couché à plat ventre, tandis que Rosebud filait sur la mer, je me disais : « Je n’ai pas su. Oh ! si c’était à recommencer ! » À force de penser et de souffrir, j’ai compris ; j’ai compris que je n’étais pas entré suffisamment dans vos goûts et dans vos idées. Vous êtes une femme supérieure. Je ne m’en étais pas aperçu, parce que ce n’était pas pour cela que je vous aimais. Sans m’en douter, je vous agaçais, je vous froissais.

Elle secoua la tête. Il insista.

— Si ! si ! Je vous ai souvent froissée. Je ne ménageais pas assez votre délicatesse. Il y a eu des malentendus entre nous. Cela tient à ce que nous n’avons pas la même nature. Et puis je n’ai pas su vous distraire. Je n’ai pas trouvé les amusements qu’il vous faut ; je ne vous ai