Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/393

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une torture physique, une plaie avivée, élargie par toutes les tenailles de l’imagination. Elle savait combien le mal était profond. Elle l’avait vu pâlir devant le Saint Marc de bronze, quand elle avait jeté une lettre dans la boîte, au mur de la vieille maison florentine, alors qu’il ne la possédait qu’en désir et qu’en rêve.

Elle se rappelait ses plaintes étouffées, ses brusques tristesses, plus tard, après les longs baisers, et le mystère douloureux des paroles qu’il répétait sans cesse : « Il faut que je t’oublie en toi. » Elle revoyait la lettre de Dinard, et ce désespoir furieux pour un mot entendu à la table d’un cabaret. Elle sentait que le coup avait été porté par hasard à l’endroit sensible, à la plaie saignante. Mais elle ne perdait pas courage. Elle dirait tout, elle avouerait tout, et tous ses aveux crieraient : « Je t’aime, je n’ai jamais aimé que toi ! » Elle ne l’avait pas trahi. Elle ne lui apprendrait rien qu’il n’eût déjà deviné. Elle avait menti si peu, le moins possible, et seulement pour ne pas lui faire de la peine. Comment ne comprendrait-il pas ? Il valait mieux qu’il sût tout, puisque ce tout n’était rien. Elle se représentait sans cesse les mêmes idées, se répétait les mêmes paroles.

Sa lampe ne jetait plus qu’une lueur fumeuse. Elle alluma des bougies. Il était six heures et