Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/392

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commençait à poindre. Elle regarda sa montre. Il était trois heures et demie.

Elle retourna à la fenêtre. L’infini sombre du dehors l’attirait. Elle regarda. Le trottoir luisait sous les becs de gaz. Une pluie invisible et muette tombait du ciel blafard. Tout à coup, une voix monta dans le silence ; aiguë et puis grave, saccadée, elle semblait faite de plusieurs voix qui se répondaient. C’était un ivrogne qui, battant le trottoir et se heurtant aux arbres, menait une longue dispute avec les êtres de son rêve auxquels il donnait généreusement la parole, et qu’il accablait ensuite sous de grands gestes et des mots impérieux. Thérèse voyait le long du parapet, le pauvre homme flotter, dans sa blouse blanche, comme une loque au vent de la nuit, et elle entendait çà et là des mots qui revenaient sans cesse : « Voilà ce que je lui dis, au gouvernement ! »

Saisie par le froid, elle se remit au lit. Une angoisse lui vint. Elle pensa : « Il est jaloux, il l’est follement. C’est une affaire de nerfs et de sang. Mais son amour aussi est une affaire de sang et de nerfs. Son amour et sa jalousie, c’est une même chose. Un autre comprendrait. Il suffirait de contenter son amour-propre. » Mais lui, il était jaloux en dedans et du fond de sa chair. Elle le savait, qu’en lui la jalousie était