Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/399

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Pourtant, il avait envie de l’entendre et déjà il écoutait avidement. Ce qu’elle allait dire, il le détestait et le rejetait d’avance, mais c’était tout ce qui l’intéressait au monde. Elle dit :

— Vous avez pu croire que je vous trahissais, que je ne vivais pas en vous seul et de vous seul. Mais vous ne comprenez donc rien ? Vous ne voyez donc pas que, si cet homme était mon amant, il n’aurait pas eu besoin de me parler au théâtre, dans cette loge ; il aurait eu mille autres moyens de me donner un rendez-vous. Oh ! non, mon ami, je vous assure bien que depuis que j’ai le bonheur, — aujourd’hui encore, désolée, torturée, je dis le bonheur — de vous connaître, j’ai été toute à vous. Est-ce que j’aurais pu être à un autre ? C’est monstrueux, ce que vous imaginez. Mais je t’aime, je t’aime ! Je n’aime que toi. Je n’ai jamais aimé que toi.

Il répondit lentement, avec une pesanteur cruelle :

— « Je serai tous les jours, à partir de trois heures, chez nous, rue Spontini. » Ce n’est pas un amant, votre amant qui vous disait cela ? Non ! C’était un étranger, un inconnu.

Elle se dressa debout, et, avec une gravité douloureuse :

— Oui, j’ai été à lui. Vous le saviez bien.