Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/398

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et reparaître. Puis il s’était mis à compter les fenêtres des maisons, avec un soin minutieux. La pluie avait commencé de tomber. Il était allé aux Halles, avait bu de l’eau-de-vie dans un cabaret. Une fille très grosse, qui louchait, lui avait dit : « T’as pas l’air heureux. » Il s’était assoupi sur la banquette de cuir. Ç’avait été un bon moment.

Les images de cette nuit douloureuse passaient dans ses yeux. Il dit :

— Je me suis rappelé la nuit de l’Arno. Vous m’avez gâté toute la joie et toute la beauté du monde.

Il la supplia de le laisser seul. Dans sa lassitude il avait une grande pitié de lui-même. Il aurait voulu dormir ; non pas mourir : la mort lui faisait horreur. Mais dormir et ne plus jamais se réveiller. Cependant il la voyait devant lui, tant désirée et aussi désirable qu’autrefois dans le trouble de son teint et malgré la fixité pénible de ses yeux secs. Et douteuse maintenant, plus mystérieuse que jamais. Il la voyait. Sa haine se ranimait avec sa souffrance. D’un regard mauvais, il cherchait sur elle le souvenir des caresses qu’il ne lui avait pas données.

Elle tendit vers lui les bras :

— Écoutez-moi, Jacques.

Il lui fit signe qu’il était inutile qu’elle parlât.