Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/51

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feuilles antisémitiques. Et croiriez-vous que le ministre de l’Instruction publique m’a refusé la croix de commandeur que je lui demandais ? Voilà l’ingratitude ! voilà l’aberration ! L’antisémitisme, c’est la mort, entendez-vous, de la civilisation européenne.

Ce petit homme avait un naturel qui passait tout l’art du monde. Grotesque et terrible, il consternait la table par sa sincérité. Madame Martin, qu’il amusait, lui en fit compliment :

— Au moins, lui dit-elle, vous défendez vos coréligionnaires ; vous n’êtes pas, monsieur Schmoll, comme une très belle dame juive de ma connaissance qui, ayant lu dans un journal qu’elle recevait l’élite de la société israélite, alla crier partout qu’on l’insultait.

— Je suis sûr que vous ne savez pas, madame, combien la morale juive est belle et supérieure aux autres morales. Connaissez-vous la parabole des Trois Anneaux ?

Cette question se perdit dans la rumeur des dialogues où se croisaient la politique étrangère, les expositions de peinture, les scandales élégants et les discours académiques. On parla du nouveau roman et de la prochaine pièce. C’était une comédie. Napoléon y avait un rôle épisodique.

La conversation se fixa sur Napoléon plusieurs fois mis au théâtre et nouvellement étudié dans