Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/58

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maux et de ses fautes. Son âme toujours neuve renaissait chaque matin. Il eut plus que tout autre la capacité du divertissement. Le premier jour qu’il vit le soleil se lever sur son rocher funèbre de Sainte-Hélène, il sauta de son lit en sifflant un air de romance. C’était la paix d’une âme supérieure à la fortune, c’était surtout la légèreté d’un esprit prompt à renaître. Il vivait du dehors.

Garain, qui n’aimait guère ce tour ingénieux d’esprit et de langage, voulut hâter la conclusion :

— En un mot, dit-il, il y avait du monstre en cet homme.

— Les monstres n’existent pas, répliqua Paul Vence. Et les hommes qui passent pour des monstres inspirent l’horreur. Napoléon fut aimé de tout un peuple. Ce fut sa force de soulever sur ses pas l’amour des hommes. La joie de ses soldats était de mourir pour lui.

La comtesse Martin aurait voulu que Dechartre donnât aussi son avis. Mais il s’en défendit avec une espèce d’effroi.

— Connaissez-vous, dit Schmoll, la parabole des Trois Anneaux, inspiration sublime d’un juif portugais ?

Garain, tout en félicitant Paul Vence de son brillant paradoxe, regrettait que l’esprit s’exerçât ainsi aux dépens de la morale et de la justice.