Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/57

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l’inconnaissable, pas une inquiétude du mystère qui enveloppe la destinée. À Sainte-Hélène, quand il parle de Dieu et de l’âme, il semble un bon petit écolier de quatorze ans. Jetée dans le monde, son âme se trouva à la mesure du monde et l’embrassa tout. Rien de cette âme n’alla se perdre dans l’infini. Poète, il ne connut que la poésie de l’action. Il borna à la terre son rêve puissant de la vie. Dans sa puérilité terrible et touchante, il crut qu’un homme peut être grand, et cet enfantillage ne le quitta pas même avec le temps et le malheur. Sa jeunesse, ou plutôt sa sublime adolescence dura autant que lui, parce que les jours de sa vie ne s’étaient pas ajoutés les uns aux autres pour former une maturité consciente. C’est l’état prodigieux des hommes d’action. Ils sont tout entiers dans le moment qu’ils vivent et leur génie se ramasse sur un point. Ils se renouvellent sans cesse, et ne se prolongent pas. Les heures de leur existence ne sont point liées entre elles par une chaîne de méditations graves et désintéressées. Ils ne continuent pas de vivre ; ils se succèdent dans une suite d’actes. Aussi manquent-ils de vie intérieure. Ce défaut est particulièrement sensible chez Napoléon, qui ne vécut jamais au dedans de lui-même. De là cette légèreté de caractère qui lui fit supporter aisément le poids énorme de ses