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fit à Paul Vence des compliments sur ce qu’il avait dit à table.

— Vous avez parlé de Napoléon avec une liberté d’esprit qui est bien rare dans les conversations que j’entends. J’avais remarqué que les petits enfants, quand ils sont très beaux, ont l’air, dès qu’ils boudent, de Napoléon, le soir de Waterloo. Vous m’avez fait sentir les raisons très profondes de cette ressemblance.

Puis, se tournant vers Dechartre :

— Et vous, aimez-vous Napoléon ?

— Madame, je n’aime pas la Révolution. Et Napoléon, c’est la Révolution bottée.

— Pourquoi, monsieur Dechartre, n’avez-vous pas dit cela pendant le dîner ? Mais je vois : vous ne consentez à avoir de l’esprit que dans les petits coins.

Le comte Martin-Bellème conduisit les hommes au fumoir. Paul Vence resta seul avec les dames. La princesse Seniavine lui demanda s’il avait fini son roman et quel en était le sujet. C’était une étude, dans laquelle il s’efforçait d’atteindre à cette vérité formée d’une suite logique de vraisemblances qui, ajoutées les unes aux autres, atteignent à l’évidence.

— Par là, dit-il, le roman acquiert une force morale que, dans sa lourde frivolité, n’eut jamais l’histoire.