Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/83

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de la place Saint-Marc ? Je vous avoue que j’aime encore Venise après y être allée trois fois.

Il lui donna raison. Il aimait aussi Venise. Chaque fois qu’il y allait, de sculpteur il devenait peintre et faisait des études. C’est l’air qu’il y aurait voulu peindre.

— Ailleurs, dit-il, même à Florence, le ciel est loin, tout en haut, tout au fond. À Venise, il est partout ; il caresse la terre et l’eau, il enveloppe avec amour les dômes de plomb et les façades de marbre et jette dans l’espace irisé ses perles et ses cristaux. La beauté de Venise, c’est son ciel et ses femmes. Les Vénitiennes, quelles jolies créatures ! Et d’un jet si hardi, si pur ! Ces chairs minces et souples, qu’on sent pleines sous le châle noir. Ne resterait-il de ces femmes-là qu’un os, on retrouverait dans cet os le charme de leur structure exquise. Le dimanche, à l’église, elles forment des groupes rieurs, agités, un fouillis de hanches un peu pointues, de nuques élégantes, de sourires fleuris, de regards enflammés. Et tout cela plie avec une souplesse de jeunes bêtes, au passage d’un prêtre à tête de Vitellius, qui, le menton répandu sur sa chasuble, porte le calice, précédé de deux enfants de chœur.

Il allait d’un pas inégal, au gré de ses idées tantôt pressées, tantôt lentes. Elle marchait plus régulièrement et tendait à le dépasser. Et, la