Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/97

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leur plan primitif, tels qu’ils avaient été ou tels qu’ils avaient dû être à l’origine. Philippe Dechartre voulait, au contraire, qu’on respectât tout ce que les siècles avaient ajouté peu à peu à une église, à une abbaye, à un château. Faire disparaître les anachronismes et ramener un édifice à son unité première, lui semblait une barbarie scientifique aussi redoutable que celle de l’ignorance. Il disait, il répétait sans cesse : « C’est un crime que d’effacer les empreintes successives imprimées dans la pierre par la main et l’âme de nos aïeux. Les pierres neuves taillées dans un vieux style sont de faux témoins. » Il voulait que la tâche de l’architecte archéologue fût bornée à soutenir et à consolider les murailles. Il avait raison. On lui donna tort. Il acheva de se nuire en mourant jeune, dans le triomphe de son rival. Il laissait pourtant à sa veuve et à son fils une fortune honnête. Jacques Dechartre fut élevé par sa mère, qui l’adorait. Je ne crois pas que la tendresse maternelle ait jamais été si impétueuse. Jacques est un charmant garçon ; mais c’est un enfant gâté.

— Il a l’air pourtant si indifférent, si facile à vivre, si loin de tout !

— Ne vous y fiez pas. C’est une imagination tourmentée et tourmentante.