Page:Anatole France - Le Mannequin d’osier.djvu/12

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taient encore à l’état gazeux dans la nébuleuse primitive.

« Car enfin, se disait-il, madame Bergeret nageait dans l’infini des âges, informe, inconsciente, éparse en légères lueurs d’oxygène et de carbone. Les molécules, qui devaient un jour composer ce lexique latin, gravitaient en même temps, durant les âges, dans cette même nébuleuse d’où devaient sortir enfin des monstres, des insectes et un peu de pensée. Il a fallu une éternité pour produire mon dictionnaire et ma femme, monuments de ma pénible vie, formes défectueuses, parfois importunes. Mon dictionnaire est plein d’erreurs. Amélie contient une âme injurieuse dans un corps épaissi. C’est pourquoi il n’y a guère à espérer qu’une éternité nouvelle crée enfin la science et la beauté. Nous vivons un moment et nous ne gagnerions rien à vivre toujours. Ce n’est ni le temps, ni l’espace qui fit défaut à la nature, et nous voyons son ouvrage ! »