Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/102

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Les journées de Février m’ont laissé peu de souvenirs. On ne m’a pas fait sortir une seule fois pendant le combat des rues. Nos fenêtres donnaient sur la cour, et les événements qui s’accomplissaient au dehors étaient pour moi infiniment mystérieux. Tous les locataires de la maison fraternisaient. Madame Caumont, la femme du libraire-éditeur, mademoiselle Mathilde, la fille déjà vieille de madame Laroque, mademoiselle Cécile, la couturière, la très élégante madame Petitpas, la belle madame Moser, qu’on ne fréquentait pas en temps ordinaire, se réunissaient l’après-midi chez ma mère, où elles faisaient de la charpie pour les blessés dont le nombre augmentait de minute en minute. L’usage alors suivi dans tous les hôpitaux était d’appliquer sur les plaies des filaments de toile, et personne ne doutait de l’excellence de ce procédé avant la révolution médicale qui a proscrit les pansements humides. Ces dames apportaient chacune son paquet de linge ; elles s’asseyaient dans la salle à manger autour de la table ronde et, là, déchiraient la toile par bandes étroites, puis l’effilaient. On admire, quand on y songe, que ces ménagères eussent tant de vieux linge.