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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/108

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de cette mort fut reçue avec un profond émoi.

Je me rappelle aussi que, quelques instants plus tard, à nuit close, étant avec ma chère maman chez madame Caumont, je vis par la fenêtre de l’entresol, qui donnait sur le quai, une voiture très haute et largement évasée sortir tout en feu du guichet du Louvre. Une troupe d’hommes la traîna sur le pont des Saints-Pères entre les deux statues assises, et, avant d’avoir atteint le milieu du pont, la fit basculer. Elle rebondit deux fois sur ses ressorts, puis, emportant la balustrade de fonte, tomba dans la Seine. Et ce spectacle, auquel succédèrent soudain les ténèbres profondes, me parut splendide et mystérieux.

Voilà mes souvenirs du 24 février 1848, tels qu’ils se sont imprimés dans mes faibles esprits, et tels que ma mère me les a maintes fois rafraîchis ; les voilà dans leur candide indigence. J’ai pris grand soin de ne les point orner, de ne les point enrichir.

La manière dont j’appris alors les événements contemporains exerça une influence durable sur mon intelligence de la vie publique et contribua grandement à former ma philosophie de l’histoire. Dans ma première enfance,