les Français avaient un sentiment du ridicule qu’ils ont perdu depuis, sous l’empire de causes que je ne saurais démêler. Le pamphlet, la gravure et la chanson exprimaient leur esprit moqueur. Je naquis à l’âge d’or de la caricature et c’est par les lithographies du Charivari et par les moqueries de mon parrain M. Pierre Danquin, bourgeois de Paris, que je me fis une idée de la vie nationale ; elle me parut comique en dépit des émeutes et des révolutions, parmi lesquelles je fus nourri. Mon parrain appelait Louis-Napoléon Bonaparte le perroquet mélancolique. Je me plaisais à imaginer cet oiseau combattant le spectre rouge, représenté comme un épouvantail à moineaux, promené sur un manche à balai. Et autour d’eux, je voyais s’agiter les orléanistes ayant pour tête une poire, M. Thiers en nain, Girardin en paillasse, et le Président Dupin avec une face de passoire et des souliers grands comme des bateaux. Mais je m’intéressais surtout à Victor Considérant que je savais habiter près de nous, sur le quai Voltaire, et qui m’était figuré se suspendant aux arbres par une longue queue que terminait un gros œil.
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