Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/114

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bavolet de dentelle. Ce pouvait être là le mouvement d’un génie fougueux ; ce n’était pas assurément un acte de sagesse. Je contemplai les deux sœurs, et, soit qu’en effet elles me parussent douées d’une puissance surnaturelle, soit plutôt que mon esprit avide de merveilleux se prêtât à l’illusion, un petit frisson de peur, aigre-doux, me secoua la poitrine.

— Elles ne savent pas tes fautes, reprit ma mère, mais tu les lis dans leurs yeux. Sois bon, et elles te souriront, comme te sourira la nature entière.

Depuis lors, chaque fois que nous passions, ma mère et moi, devant les deux sœurs, nous nous inquiétions de voir si elles se montraient irritées ou sereines, et toujours leur expression répondait exactement à l’état de ma conscience. Je les consultais avec une entière bonne foi et trouvais dans leur visage, ou souriant ou sombre, le loyer de ma sagesse ou la peine de mes fautes.

De longues années s’écoulèrent. Devenu un homme et ayant acquis une pleine liberté d’esprit, aux heures de trouble et d’irrésolution, je consultais encore les deux sœurs. Un jour que j’avais un particulier besoin de voir clair