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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/123

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enfin d’avoir satisfait à toutes les convenances de son sexe, de son âge et de son état, elle fermait à clef la porte de sa chambre, descendait avec moi l’escalier, s’arrêtait, stupide, dans le vestibule en poussant un grand cri et remontait précipitamment l’escalier jusqu’à sa mansarde pour y prendre son cabas qu’elle avait oublié selon son antique coutume. Elle n’aurait jamais consenti à sortir sans ce cabas de velours grenat, qui contenait son tricot sempiternel, où elle trouvait au besoin des ciseaux, du fil et des aiguilles et dont, une fois, elle tira un petit carré de taffetas d’Angleterre pour le mettre à mon doigt qui saignait. Elle conservait encore dans ce sac un sou percé, une de mes dents de lait et son adresse sur un bout de papier, afin, disait-elle, que, si elle mourait subitement dans la rue, on ne la portât pas à la morgue. Quand, descendus sur le quai, nous tournions à gauche, nous donnions le bonjour à madame Petit, la marchande de lunettes qui, siégeant en plein air, contre le mur de l’hôtel de Chimay, près de sa vitrine, sur sa haute chaise de bois, droite, immobile, le visage brûlé du soleil et de la gelée, gardait une tristesse sévère. Et les deux femmes échangeaient des