Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/124

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propos qui variaient peu d’une rencontre à l’autre, sans doute parce qu’ils se rapportaient au fond immuable de la nature. Elles s’entretenaient d’enfants atteints de la coqueluche ou du croup ou consumés par une fièvre lente, de femmes sujettes à des troubles plus secrets, de journaliers victimes de terribles accidents. Elles disaient l’influence maligne des saisons sur les tempéraments, renchérissement des vivres, la cupidité croissante des hommes devenus de jour en jour plus mauvais et les crimes multipliés épouvantant le monde. Je me suis aperçu plus tard, en lisant Hésiode, que la marchande de lunettes du quai Malaquais pensait et parlait comme les vieux poètes gnomiques de la Grèce. Loin de m’émouvoir, cette sagesse m’accablait d’ennui et je tirais ma bonne par sa jupe pour y échapper. Quand, au contraire, descendus sur le quai, nous tournions à droite, je voulais m’arrêter devant les gravures que madame Letord étalait le long d’une palissade de bois qui fermait le terrain vague sur lequel s’élève aujourd’hui le palais des Beaux-Arts. Ces images me remplissaient de surprise et d’admiration. Et spécialement Les Adieux de Fontainebleau, La Création