Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/126

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jetais des ponts de bois, je bâtissais sur leurs bords, avec l’écorce fine, des villages, des remparts, des églises ; j’y plantais des herbes et des branches qui représentaient des arbres et formaient des jardins, des avenues, des forêts ; et je me réjouissais de mon œuvre.

Ces promenades dans la ville et les faubourgs me semblaient tantôt lentes et monotones, tantôt agitées, parfois pénibles, parfois riantes et pleines de gaîté. Parcourant de vastes espaces, nous suivions cette longue avenue tout en fête bordée de boutiques de pains d’épice, de bâtons de sucre de pomme, de mirlitons et de cerfs-volants, ces Champs-Élysées où passait la voiture aux chèvres, où les chevaux de bois tournaient au son de l’orgue, où Guignol, dans son théâtre, se battait avec le Diable. Puis nous nous trouvions sur les berges poudreuses où les grues déchargeaient des pierres tandis que, sur le chemin de halage, les percherons remorquaient les chalands. Les pays succédaient aux pays, les contrées aux contrées ; nous en traversions de populeuses et de désertes, d’arides et de fleuries. Mais il y en avait une où je souhaitais de pénétrer préférablement à toute autre, que