Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/127

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je me croyais, à certains moments, près d’atteindre et que je n’atteignais jamais. J’ignorais tout de cette contrée et j’étais sûr qu’en la voyant je la reconnaîtrais. Je ne l’imaginais ni plus belle ni plus agréable que celles que je connaissais, bien au contraire, mais tout autre, et j’aspirais ardemment à la découvrir. Cette contrée, ce monde, que je sentais inaccessible et proche, ce n’était pas le monde divin que m’enseignait ma mère. Pour moi, celui-là, le monde spirituel, se confondait avec le monde sensible. Dieu le père, Jésus, la Sainte Vierge, les anges, les saints, les bienheureux, les âmes du purgatoire, les démons, les damnés n’avaient pas de mystère. Je savais leur histoire, je trouvais partout des images à leur ressemblance. La rue Saint-Sulpice m’en offrait seule des milliers. Non ! Le monde qui m’inspirait une folle curiosité, le monde de mes rêves, était un monde inconnu, sombre, muet, dont la seule idée me faisait éprouver les délices de la peur. J’avais de bien petites jambes pour l’atteindre et ma vieille Mélanie, que je tirais par sa jupe, trottait menu. Pourtant, je ne me décourageais pas ; j’espérais pénétrer un jour