Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/129

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mêlée de crainte qu’ils m’inspiraient. L’un de ces bords, que je n’avais pu franchir, était marqué par deux maisons que reliait une grille de fer, et qui ne ressemblaient pas aux autres maisons, deux maisons de pierre carrées, lourdes, tristes, ceintes d’une belle frise de femmes qui se tenaient par la main entre de grands écussons muets. Et c’était là, en réalité, sinon la barrière du monde sensible, du moins une de ces barrières de Paris construites sous le règne de Louis XVI par l’architecte Ledoux, la barrière d’Enfer[1]. Dans les humides Tuileries, non loin du sanglier de marbre assis à l’ombre des marronniers, il est, sous la terrasse du bord de l’eau, un caveau glacial, où dort une femme blanche, un serpent enroulé autour du bras. Je soupçonnais que ce caveau communiquait avec le monde inconnu, mais qu’il fallait, pour y descendre, soulever une lourde pierre. Dans les caves de la maison même que j’habitais, une porte inquiétait ma vue ; elle était à peu près semblable aux portes des caves voisines ; la

  1. Place d’Enfer, devenue en 1879, par un pitoyable jeu de mots, à la manière du marquis de Bièvre, la place Denfert-Rochereau.