Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/132

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Mitzi, combien de fois n’ai-je pas tressailli au tournant de la voie nouvelle et du sentier inexploré. Tu m’as vu, Mitzi, épier à tous les carrefours, à tous les angles du chemin, à tous les détours des sentiers dans les bois, l’apparition terrible, sans forme, et pareille au néant, et qui m’eut soulagé un moment de l’ennui de vivre. Et toi, mon ami, mon frère, ne cherchais-tu pas aussi quelque chose que tu ne trouvais jamais ? Je n’ai pas pénétré tous les secrets de ton âme ; mais j’y ai découvert trop de ressemblances avec la mienne pour ne pas croire qu’elle était inquiète et tourmentée. Comme moi, tu cherchais en vain. On a beau chercher, on ne trouve jamais que soi-même. Le monde, pour chacun de nous, est ce que nous en contenons. Pauvre Mitzi, tu n’avais pas comme moi, pour conduire tes recherches, un cerveau aux circonvolutions nombreuses, la parole, des appareils savants et ces trésors d’observation contenus dans nos livres. Tes yeux se sont éteints et le monde avec eux, ce monde dont tu ne savais presque rien. Oh ! si ta chère petite ombre pouvait m’entendre, je lui dirais : Bientôt mes yeux aussi se fermeront pour l’éternité, sans que j’en aie appris beau-