Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/138

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de M. Ménage était clouée à la porte. À main droite, quand on se tournait vers cette porte, on recevait d’une lucarne tapissée de toiles d’araignées un jour triste, et l’on discernait un plomb avec son tuyau d’où s’échappait une sempiternelle odeur de chou. De ce côté, qui était celui du quai, il n’y avait jusqu’à la lucarne qu’un espace d’une dizaine de pas au plus. De l’autre côté, on ne voyait qu’une lueur trouble qui montait de l’escalier : le corridor s’enfonçait dans l’ombre et me paraissait sans fin. Mon imagination le peuplait de monstres.

Parfois ma bonne Mélanie, quand elle allait ranger son linge dans son armoire, me permettait de l’accompagner. Mais je n’avais pas licence de monter seul à cet étage, et il m’était spécialement interdit d’entrer dans l’atelier du peintre et même d’en approcher. Selon Mélanie, je n’en aurais pu supporter la vue ; elle-même n’avait su voir sans effroi un squelette qui y était pendu et des membres humains d’une pâleur de mort accrochés aux murs. Cette description fit naître en mon esprit de la crainte et de la curiosité, et je brûlais d’entrer dans l’atelier de M. Ménage. Un jour que j’avais