Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/151

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coup éclaircie depuis, et les noms de Malek-Adhel et de Mathilde demeurent associés dans ma mémoire à l’odeur de poireaux bouillis, d’oignon brûlé et de fumée de charbon qui régnait dans la loge de madame Morin. Cette personne respectable faisait mélancoliquement la cuisine dans un fourneau très bas dont le tuyau s’emmanchait dans la cheminée et qui fumait toujours. La plus vive distraction que je trouvasse auprès d’elle était de la voir écumer le pot-au-feu et éplucher les carottes avec un soin de n’en pas trop ôter, qui révélait une âme parcimonieuse. Au contraire le commerce de Morin m’était très agréable.

Quand, armé de brosses, de plumeaux et de balais, il se préparait à mettre dans une salle cette propreté qu’il aimait, un rire d’allégresse fendait sa bouche jusqu’aux oreilles, ses yeux tout ronds s’illuminaient, sa large face s’éclairait ; quelque chose de l’héroïsme domestique d’Hercule en Élide apparaissait en lui. Si j’avais la chance de le surprendre en un tel moment de sa journée, je me pendais à sa main rude et velue qui sentait le savon de Marseille, nous montions ensemble l’escalier, et nous entrions dans quelque appartement confié à ses