lui disait rien de bon, une paresse invincible, une activité effrénée, une intelligence attardée, un esprit trop précoce. À ces qualités mauvaises et diverses, elle assignait une origine commune. Selon ma tante, tout le mal (et il était grand) venait de ce que j’étais un fils unique.
Quand ma chère maman s’inquiétait de me voir languissant et pâle :
— Il ne peut pas être gai et bien portant, lui disait ma tante, il n’a pas d’enfant avec qui jouer : il n’a pas de frère.
Si je ne savais pas ma table de multiplication, si je renversais mon encrier sur ma blouse de velours bleu, si je mangeais avec excès des pistoles et des pommes tapées, si je me refusais obstinément à réciter à madame Gaumont Les Animaux malades de la peste, si je me faisais en tombant une bosse au front, si Sultan Mahmoud me griffait, si je pleurais mon canari trouvé un matin dans sa cage immobile, les yeux clos, les pattes en l’air, s’il pleuvait, s’il ventait, c’était que je n’avais pas de frère. Un soir, à table, je m’avisai de mettre à la dérobée une pincée de poivre sur la part de tarte à la crème réservée à la vieille Mélanie qui raffolait de sucreries. Ma chère