Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/158

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maman me prit sur le fait et me reprocha cette action qu’elle estimait de nature à ne faire honneur ni à mon esprit ni à mon cœur. Ma tante Chausson, qui renchérissait sur ce jugement et voyait dans cette espièglerie la preuve d’une dépravation profonde, m’en excusa sur ce que je n’avais ni frère ni sœur.

— Il vit seul. La solitude est mauvaise ; elle développe chez cet enfant les instincts pervers dont il porte en lui les germes, Il est insupportable. Non content de vouloir empoisonner cette vieille servante dans un gâteau, il me souffle dans le cou et me cache mes bésicles. Si j’habitais longtemps chez vous, ma chère Antoinette, il me ferait tourner en bourrique.

Comme je me sentais innocent de toute tentative d’empoisonnement et que je ne me faisais aucun scrupule de faire tourner ma tante Chausson en bourrique, ces accusations me touchèrent peu. Loin de croire la vieille dame sur parole j’étais disposé à prendre le contre-pied de ses opinions et il suffisait qu’elle souhaitât que j’eusse un frère ou une sœur pour que je ne le souhaitasse pas. Aussi bien, je me passais aisément d’un compagnon de jeux. Sans trouver les heures aussi courtes qu’elles