Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/161

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trouvai flambante, odorante et déserte. Au moment de servir, Mélanie, selon sa coutume constante, était allée chercher chez l’épicier ou le fruitier quelque herbe, quelque graine, quelque condiment oublié. Sur le fourneau, un civet de lièvre chantait dans la casserole. À cette vue, une inspiration soudaine s’empara de mes esprits. Pour y obéir, je retirai le civet du feu et l’allai cacher dans l’armoire aux balais. Cette opération s’effectua heureusement, à cela près que j’eus quatre doigts de la main droite, le coude gauche et les deux genoux brûlés, le visage échaudé, mon tablier, mes bas et mes souliers gâtés et que la sauce fut aux trois quarts renversée sur le carreau avec nombre de lardons et de petits oignons. Incontinent, je courus chercher l’arche de Noé que j’avais reçue pour mes étrennes et je versai tous les animaux qu’elle renfermait dans une belle casserole de cuivre que je mis sur le fourneau à la place du civet de lièvre. Cette fricassée, dans mon esprit, rappelait, avec avantage, ce que j’avais ouï dire et vu sur une image coloriée du festin de Gargantua. Car, si le géant piquait avec sa fourchette à deux dents des bœufs entiers, je faisais un plat de tous les animaux