Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la création depuis l’éléphant et la girafe jusqu’au papillon et à la sauterelle. Je jouissais par avance de l’émerveillement de Mélanie, quand cette simple créature, croyant trouver le lièvre, qu’elle avait apprêté, découvrirait en son lieu, le lion et la lionne, l’âne et l’ânesse, l’éléphant et sa compagne, enfin toutes les bêtes échappées du déluge, sans compter Noé et sa famille que j’avais fricassés avec elles par mégarde. Mais l’événement trompa mes prévisions. Une puanteur insupportable qui venait de la cuisine ne tarda pas à se répandre dans tout l’appartement, imprévue de moi et surprenante pour tout autre. Ma mère, suffoquée, courut à la cuisine pour en chercher la cause et trouva la vieille Mélanie qui, tout essoufflée et son panier encore au bras, tirait du feu la casserole où fumaient horriblement les restes noircis des animaux de l’arche.

— Ma « castrole » ! ma belle « castrole » ! s’écria Mélanie avec l’accent du désespoir.

Venu jouir du succès de mon invention, je me sentis accablé de honte et de regrets. Et c’est d’une voix mal assurée qu’à la demande de Mélanie, je révélai qu’on trouverait le civet dans l’armoire aux balais.