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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/183

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veau. Sans doute, ces agréments ôtaient au loto quelque chose de sa sécheresse, mais j’y trouvais encore trop d’abstractions pour mon goût. Au contraire, le noble jeu de l’oie renouvelé des Grecs me ravissait. Dans le jeu de l’oie, tout vit, tout parle, c’est la nature et la destinée ; tout y est merveilleux et tout y est vrai, tout y est ordonné et tout y est hasardeux. Les oies fatidiques placées de 9 en 9 m’apparaissaient ainsi que des divinités, et comme j’étais porté alors à adorer les animaux, ces grands oiseaux blancs me remplissaient de respect et d’effroi. Ils représentaient dans ce jeu la part du mystère ; le reste était du domaine de la raison. Retenu à l’hôtellerie, j’y sentais l’odeur du rôti. Je tombais dans le puits au bord duquel se tenait, pour mon salut ou ma perte, une jolie paysanne en corsage rouge et tablier blanc ; je m’égarais dans le labyrinthe où je n’étais pas surpris de trouver un kiosque chinois, vu mon ignorance de l’art crétois ; je tombais du haut du pont dans la rivière, j’étais mis en prison, j’échappais à la mort, je parvenais enfin au bosquet gardé par l’oie céleste, dispensatrice de toutes les félicités. Quelquefois pourtant, rassasié d’aventures