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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/184

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comme Sindbab le Marin, je ne tentais plus la fortune, je n’affrontais plus le puits, le pont, le labyrinthe, la prison. J’allais m’asseoir sur un petit tabouret rouge, aux pieds de madame Laroque, et là, loin de la table et de la lampe, je me faisais conter le siège de Granville.

Et madame Laroque, en tricotant un bas, me faisait le récit que je rapporte ici mot pour mot :

— En quittant Fougères, monsieur de la Rochejacquelein, qui commandait les brigands, voulait aller à Rennes, mais des émigrés habillés en paysans lui apportèrent d’Angleterre des lettres et de l’or dans des bâtons creux. Aussitôt monsieur Henri, comme ils l’appelaient entre eux, commanda aux brigands d’aller à Granville parce que les Anglais promettaient à ces Messieurs d’envoyer des navires de guerre pour attaquer la ville par mer tandis que les brigands l’attaqueraient par terre. Mais il ne faut point se fier aux promesses des Anglais. Cela je l’ai ouï dire plus tard par un homme de Bressuire. Voici ce que j’ai entendu de mes propres oreilles et vu de ma propre vue. Les brigands arrivèrent par milliers à Granville, si bien que, de la promenade, on les voyait se répandre comme une