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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/187

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y rétabliront la dîme et y mettront les Anglais. Si tu veux servir comme devant, et te tourner Anglaise, cela te regarde. Moi, je veux rester libre et Française. Vive la République ! » Alors le Parisien voulut m’embrasser. Je lui donnai un soufflet par bienséance. Cependant on criait : « Voilà qu’ils montent à l’assaut ! » J’avais de la crainte et plus de curiosité que de crainte. Je me coulai jusqu’à la promenade et vis les Vendéens enfoncer leurs baïonnettes dans les murs pour s’en faire des échelons. Mais les bleus tiraient du haut des remparts et faisaient tomber les pauvres assaillants qui se brisaient sur les rochers. Enfin, voyant la mer démontée et n’attendant plus les Anglais, les brigands s’enfuirent en jetant leurs sabots. La grève était couverte de morts qui tenaient encore leur chapelet entre leurs doigts crispés. La fille Chappedelaine leur montrait le poing et disait qu’ils étaient morts trop doucement. Et tous ceux qui tantôt voulaient leur livrer la ville les outrageaient, de peur d’être dénoncés comme traîtres à la République. »

Ainsi disait madame Laroque, et le récit d’un fait qui date aujourd’hui de plus de cent vingt ans, je l’ai entendu de la bouche d’un témoin.