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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/191

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ravissaient, si peu capable que je fusse de goûter l’art de dire. Cet homme sans regard, sans action, était la persuasion même. Je recherchais tout à l’heure pourquoi mon père, si sage et si désintéressé, était entré dans la société de l’eau de Saint-Firmin. La raison pourtant apparaît : c’est qu’il avait écouté Gomboust. La parole de Gomboust produisait le même effet sur mes parents que sur moi. En voici une preuve.

C’était un soir, un des soirs les plus noirs de ces tristes temps. M. Paulin, avoué, homme doux, M. Bourisse, avocat-conseil, plus doux que M. Paulin, M. Phélipeaux, huissier, plus doux que M. Bourisse, M. Rampon, qui prêtait à la petite semaine, plus doux que M. Phélipeaux, avaient doucement comblé d’effroi l’âme craintive et pure de mon père. Ma mère, qui voyait en Gomboust l’unique machinateur de notre ruine, avertie par Mélanie que l’homme « aux yeux en peau » demandait à la voir, le reçut sans bienveillance dans l’antichambre où j’étais caché sous une banquette dans l’imagination que c’était la grotte de la nymphe Eucharis et que j’étais Télémaque. J’y demeurai coi, et j’entendis ma mère acca-