Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/193

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aveugle, presque incapable de mouvement, retranché autant dire de la nature, à charge à autrui et à lui-même, cet homme qui vivait moins dans un corps animé que dans un cercueil de chair, aimât l’argent jusqu’à la trahison et la cruauté. Qu’en faisait-il, grands dieux, de son argent ?

À certains indices, je soupçonne mes parents d’avoir, par inexpérience et délicatesse, exagéré leur responsabilité dans la société des eaux de Saint-Firmin.

Ils furent la proie des hommes de loi et des hommes d’affaires. Rampon, l’obligeant Rampon, se fit un devoir de venir en aide à un médecin distingué, à un bon père de famille, et nous fûmes entièrement dépouillés. À vrai dire ce ne fut pas une grande catastrophe, mais il ne nous resta rien. Les pauvres bijoux de ma mère, légers d’or et peu fournis de diamants et de perles, la vieille argenterie de famille toute bossuée et dépareillée, le sucrier ayant pour anses des cygnes, la cafetière au chiffre de mon grand-père Saturnin Parmentier, la louche pesante, tout fut mis en gage et demeura aux gens de loi.

Un jour, en rentrant à la maison, mon père dit :