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sens de la vie et la connaissance de la nature, Puck l’emportait encore de beaucoup sur le petit Pierre Nozière. Cette constatation lui était pénible parce qu’il était père et aussi que sa doctrine n’accordait pas volontiers aux animaux une part de cette sagesse qu’elle proclamait le propre de l’homme.

Napoléon, à Sainte-Hélène, se montra surpris qu’O’Méara, qui était médecin, ne fût point athée. S’il eût vu mon père, il eût vu un médecin spiritualiste, qui, comme tel, croyait en un dieu distinct du monde et à une âme distincte du corps.

— L’âme, disait-il, est la substance ; le corps, l’apparence. Les mots l’expriment d’eux-mêmes : l’apparence est ce qui se voit, et qui dit substance dit chose cachée.

Malheureusement, je n’ai jamais pu m’intéresser à la métaphysique. Mon esprit se modela sur celui de mon père comme cette coupe moulée sur le sein d’une amante ; il en reproduisit en creux les plus suaves rondeurs. Mon père se faisait de l’âme humaine et de sa destinée une idée sublime ; il la croyait faite pour les cieux ; cette foi le rendait optimiste. Mais, dans le commerce ordinaire de la vie, il se